EDF: les raisons inavouées d'une demande de hausse des tarifs
Prenez un peu de temps pour lire ce texte, même un peu long. Cela confirme malheureusement une fuite en avant et une situation qui va nécessiter un vrai courage politique !
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EDF: les raisons inavouées d'une demande de hausse des tarifs
Par Martine Orange
Mediapart.fr
Après France Télécom en 2002, va-t-on assister à un scandale EDF dans les mois qui viennent? C'est le scénario noir qui semble agiter le gouvernement depuis quelque temps. De plus en plus alarmé sur la situation qui prévaut dans l'entreprise publique, Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, a pris le dossier en main. Il a demandé une analyse approfondie sur l'état de l'entreprise. Les premiers résultats font ressortir un constat accablant: en l'état actuel, même si EDF parvient à réaliser, comme il l'a prévu, un programme de cession d'actifs de 5 milliards d'euros, l'endettement du groupe public doublera d'ici à la fin de l'année, passant de 24,5 à 50 milliards d'euros. Un chiffre inavouable et insupportable, même pour un groupe aussi puissant qu'EDF.
Une première décision semble avoir déjà été arrêtée à l'Elysée: contrairement à ce que le gouvernement prévoyait il y a encore trois mois, Pierre Gadonneix ne sera pas renouvelé à la tête d'EDF en octobre. Son successeur n'est pas encore choisi. Une très courte liste de candidats possibles a été dressée. «Quel que soit le nom, ce sera un industriel. EDF est un sujet trop important pour le laisser dans des mains inexpertes», assure un proche du dossier.
Pierre Gadonneix est-il déjà au courant de cette décision? Certaines confidences faites à ses proches ces derniers jours pourraient le laisser croire. Cela expliquerait alors son étrange comportement. Le jour même où le groupe public vient de lever 3,2 milliards d'euros – trois fois plus que ce qu'il avait prévu à l'origine – auprès des particuliers, il annonce qu'il a un besoin urgent d'argent!
Passant délibérément sous silence le contrat de service public qui lie EDF à l'Etat, et qui stipule que «l'évolution des tarifs aux particuliers ne sera pas supérieure au taux de l'inflation» jusqu'à la fin de 2010, Pierre Gadonneix demande une augmentation de 20% sur trois ans afin de financer ces besoins d'investissements. Argument qui avait déjà été avancé au moment du lancement de l'émission obligataire du groupe. «Ce rattrapage est pour pouvoir assurer – à nos enfants et à nous-mêmes – que la réussite du projet industriel d'EDF soit pérennisée. Sinon, dans dix ans, tout le succès du nucléaire sera derrière nous», précisait ce jeudi le PDG d'EDF sur RTL.
En demandant l'alignement des pratiques françaises sur le reste de l'Europe, Pierre Gadonneix s'inscrit dans un débat politique, semblant forcer l'Etat à tirer toutes les leçons sur l'ouverture du marché électrique à la concurrence. Ainsi s'il tombe, il tombera par le haut, au nom de ses idées, des principes de réalisme. Il évite de la sorte d'attirer l'attention sur sa gestion.
Une conduite calamiteuse
Pourtant, c'est bien de sa conduite de l'entreprise dont il faut parler. A la lumière de l'état d'EDF, celle-ci se révèle calamiteuse. Pierre Gadonneix explique ainsi que les augmentations tarifaires s'imposent pour relancer les investissements en France. Les dépenses d'investissement sont en effet tombées à un seuil critique dans le groupe. Au cours des dix dernières années, EDF a vécu sur sa rente, engageant moins de quatre milliards d'euros par an pour l'entretien et le renouvellement de ses équipements. Résultat? Des manques criants partout. Un réseau de distribution au bord de l'apoplexie, un parc nucléaire souffrant de pannes à répétition et allant jusqu'à manquer de pièces de rechange indispensables.
La situation n'est pas nouvelle. Et pendant les quatre premières années à la tête d'EDF, Pierre Gadonneix n'a rien fait pour la changer, continuant à maintenir au plus bas niveau les investissements français. L'affichage de résultats en constante augmentation, la conquête des marchés internationaux, la tenue du cours de Bourse, étaient prioritaires. La prise de conscience de la nette dégradation de son système électrique est venue il y a à peine un an. Brusquement, la direction d'EDF a réalisé la vulnérabilité de sa position: le groupe public est devenu acheteur net d'électricité, et dépense désormais des milliards pour assurer l'approvisionnement de la France. Déstabilisées par le manque d'investissement et une organisation inadaptée (lire EDF: les salariés du nucléaire en fusion), ses centrales affichent un taux de disponibilité – calcul économique qui mesure l'efficacité industrielle et économique – en baisse constante. D'un peu plus de 80%, ce taux est tombé officiellement à 79%, dans les couloirs du groupe, on évoque même le chiffre de 75%. Un point de moins signifie des milliers de KWh en moins, des dizaines de millions d'euros envolés.
D'où la nécessité de dégager d'importants moyens financiers pour réorganiser une entreprise totalement déréglée. Mais EDF n'a plus la flexibilité financière nécessaire pour le faire. «Tous les bénéfices de la rente nucléaire ont été reversés aux Français», explique Pierre Gadonneix pour expliquer l'impasse dans laquelle se trouve le groupe public aujourd'hui. Dans les faits, il n'en est rien. Les consommateurs français ont certes profité d'une électricité bon marché, alignée sur l'inflation mais désindexée de coûts pétroliers et gaziers. Mais c'était l'objectif même du programme nucléaire lancé à partir de 1975.
La rente nucléaire a surtout servi à payer la conquête internationale du groupe. Entre le rachat de l'allemand EnbW, du britannique London Electricity et de l'italien Edison, EDF a dépensé plus de 20 milliards d'euros entre la fin des années 1990 et 2005. Sans parler des 10 milliards investis dans les années 1990 dans des sociétés en Amérique du Sud (Brésil et Argentine) qui se sont révélées des opérations calamiteuses et ont été liquidées dans des conditions tout aussi désastreuses. Contrairement à ce qu'assure Pierre Gadonneix, aucune des filiales internationales du groupe ne s'auto-finance, et l'endettement lié à ces acquisitions n'a toujours pas été remboursé.
Fuite en avant financière
Si Pierre Gadonneix s'en était tenu à cette diversification internationale, EDF pourrait sans doute financer la relance des investissements en France. Mais 2008 a été la folle année d'expansion. En dépit de toutes les mises en garde, le président d'EDF a décidé de racheter le groupe nucléaire britannique British Energy pour 13,9 milliards d'euros. Selon certains experts, EDF a payé environ trois fois le prix normal pour cette entreprise en perte, exploitant huit centrales nucléaires en fin de vie. Pierre Gadonneix a justifié cette opération, au nom de la promotion du savoir-faire nucléaire français: British Energy devant servir de base pour l'implantation de quatre EPR en Grande-Bretagne.
Il n'est même pas sûr que cette opération puisse voir le jour. Comme l'a révélé le Times le 1er juillet, l'autorité de sûreté nucléaire britannique a émis les plus grandes réserves sur certaines parties du réacteur, les jugeant pas assez sûres. Elle a demandé des modifications très importantes des technologies. Elle subordonne son autorisation d'implantation à ces changements. Ce qui signifie des mois voire des années de travail. En attendant, EDF se retrouve avec une entreprise déficitaire et une dette supplémentaire de plus de 10 milliards d'euros.
Il en va de même aux Etats-Unis. Pariant sur un renouveau du nucléaire – qui est très loin d'être acquis –, EDF s'est d'abord porté acquéreur de 9% du groupe américain Constellation, qui aimerait construire des EPR sur le territoire américain. Fin 2008, asphyxié par la crise, Constellation a frôlé la faillite. Pour EDF, cela se serait traduit par une perte de 750 millions d'euros. Plutôt que d'avouer cette perte, la direction du groupe a décidé, au contraire, de doubler la mise. Il s'est porté acquéreur de la moitié de Constellation pour 5 milliards d'euros. La transaction n'est pas encore conclue. Au gouvernement, on souhaite qu'elle ne le soit jamais.
Les charges financières de cette folle expansion ne cessent de s'envoler. Et Pierre Gadonneix n'a rien fait pour les endiguer. Pour continuer de faire croire à la bonne santé du groupe, il a choisi de s'endetter pour payer le milliard d'euros de dividendes à ses actionnaires, alors qu'EDF n'était pas en situation de l'honorer, affichant un autofinancement négatif. De même, par pur opportunisme et de politique de communication, il a lancé son emprunt obligataire auprès des particuliers au lieu de lever de l'argent dans des conditions plus intéressantes sur le marché. Pour EDF, ce sera 150 millions d'euros de frais financiers supplémentaires pendant cinq ans.
Mais le voile commence à se déchirer. Les agences de notation s'inquiètent de cette situation et réfléchissent à abaisser la note d'EDF, ce qui renchérirait encore le coût de sa dette. Et dans le plus grand secret, la division financière du groupe travaille sur des scénarios noirs de stress financier.
[1] http://www.mediapart.fr/club/blog/martine-orange
[2] http://www.mediapart.fr/files/csp-contrat de service public.pdf
[3] http://www.mediapart.fr/journal/economie/191208/edf-risque-la-surchauffe-financiere
[4] http://www.mediapart.fr/journal/france/170609/edf-enquete-sur-un-service-public-taille-en-pieces
[5] http://www.mediapart.fr/journal/economie/180609/edf-les-salaries-du-nucleaire-entrent-en-fusion
[6] http://business.timesonline.co.uk/tol/business/industry_sectors/natural_resources/article6613960.ece